Retour aux racines. - Libre -

V

E

Fraîchement redébarqué à Spaces, j'arpentai la longue avenue principale, qui elle n'avait pas beaucoup changé depuis que j'étais parti. Voilà trois ans que je n'y avais pas remis les pieds, préférant fuir tout ce que j'y avais vécu. Trois ans que j'avais passé à traîner dans les quatre coins du pays, tantôt en compagnie de Maxime, tantôt avec Thomas mes deux meilleurs amis de toujours. Mais les choses avaient changé. Thomas déprimait la plupart du temps, à cause de la mort de Médalia dont il était tombé amoureux du temps où nous vivions tous ici. & Moi... Moi qui n'avait besoin de rien ni personne, moi le type le plus orgueilleux de cette foutue planète, je revenais. Soit disant pour " voir ce qui s'était passé depuis ", mon excuse officielle. La raison officieuse : Marjorie me manquait. Une fille me manquait. A moi. Inavouable, en somme. Je me demandais si elle avait changé. Moi oui, en tout cas. Enfin un peu. Bien que j'aie toujours le même caractère de cochon.
Je passais soudain devant un bar, celui où nous allions souvent auparavant. Curieux, j'entrai, écrasant pour se faire ma clope sur le rebord du trottoir. Je pris place à une table et commandais un café noir, qu'on m'apporta presque aussitôt, sans trop regarder autour de moi. J'avais les yeux fixés à travers la vitre, à ma gauche, et je ne voyais pas ce qui se trouvait à ma droite, autrement dit l'intérieur du café. Mes lunettes de soleil noires étaient fidèlement posées sur mon nez, cachant mes yeux rougis de celui qui n'a beaucoup dormi.

Je m'arrachais à ma contemplation du monde extérieur pour remercier la serveuse qui venait de déposer mon café devant moi. Sauf qu'il ne s'agissait pas de n'importe quelle serveuse. Mais de Marjorie. Ma Marjorie à moi. Un sourire agréablement surpris se dessina sur mes lèvres. D'un geste désinvolte, j'enlevais rapidement mes lunettes teintées que je déposais sur la table. Marjorie n'avait pas changé... elle était...
- Tu es magnifique.
Murmurai-je avec le même sourire. Décidément, Spaces était une ville toute toute petite. Je ne pouvais m'empêcher de la dévisager du regard. Elle s'habillait toujours de la même façon, discrète, laissant son charme naturel faire le reste. Je la quittai des yeux un instant pour désigner le siège à côté de moi avant de la regarder de nouveau.

- Merci.

- T'as pas changé, toujours beau gosse.

Je ris en la voyant noter mon numéro - qui était effectivement toujours le même - pour le donner à la serveuse. La rançon du succès, pensai-je avec ironie. Quand elle se pencha pour m'embrasser sur la joue, je dûs me faire violence pour m'empêcher de détourner ses lèvres sur les miennes.
- Evidemment.
Répondis-je en levant les yeux au ciel et en lui adressant un sourire qui indiquait clairement le plaisir que j'avais à la retrouver. Je ne pouvais m'empêcher de la dévorer du regard comme si c'était la première fois que je la voyais.
- Tu... euh... Tu m'as manqué tu sais.
M'entendis-je lui dire, un petit sourire ( quasiment timide !!! ) aux lèvres. Je n'avais pas vraiment l'habitude de dire des phrases pareilles, surtout pas aux filles. Mais Marjorie... C'était Marjorie voilà tout. Ce que je venais de dire était par ailleurs parfaitement sincère, mais je ne pus m'empêcher d'enchaîner sur une autre question avec un petit sourire d'excuse, je n'avais jamais été vraiment doué pour exprimer des sentiments.
- Alors qu'est-ce que tu deviens, miss ?

- Tu m'as manqué aussi Erik.

- Oh ben tu sais, j'ai fais les premières pages d'un magasine de beauté, je travaille pour eux maintenant, et j'ai eu le droit à quelques vacances ... Toujours célibataire ... La routine quoi. Et toi ? Ta vie, ça devient quoi ?

Je lui souris légèrement et ne retirai pas ma main, allant même jusqu'à enlacer tendrement mes doigts aux siens. Il fallait vraiment qu'elle m'ait beaucoup manqué pour que je m'autorise un tel débordement de sentiments, très inhabituel chez moi.
- Oh marié, deux enfants, métro/boulot/dodo quoi...
Commençai-je avec un sourire amusé, sachant qu'elle comprendrait pertinemment l'ironie du truc ( moi qui m'étais toujours férocement battu pour que ma vie ne ressemble pas à celle que je venais de décrire ).
- Non sérieux. Je me suis pas mal baladé dans tout le pays, je suis même retourné quelques temps dans le Nevada, j'ai passé un bout de temps chez ton frère, un autre chez Maxime et puis finalement... me revoilà.
Ca ne m'étonnait pas que Marjorie fasse la couverture de magazine de mode, elle avait toujours eu un profil de mannequin. Peut-être même encore plus aujourd'hui qu'auparavant... Les trois années qui nous avaient séparé m'avaient réellement fait comprendre à quel point je tenais à elle. Sauf qu'il était certainement trop tard pour changer quoi que ce soit à notre histoire... Même si j'étais déterminé à essayer.
De la main qui ne tenait pas la sienne, je portais mon café à mes lèvres et le but d'un trait, avant de reposer la tasse sur la table.
- Tu as prévu quelque chose aujourd'hui Puce ?
Autrefois, quand Maxime, Thomas et moi étions les gardes du corps attitrés de la demoiselle, il était fréquent que nous l'appelions ainsi, et le surnom était venu naturellement à mes lèvres, comme si je ne l'avais jamais quittée.

- Si tu savais, j'ai trois rendez-vous, un avec un mannequin pour la saison été, et donc maillot de bain, un autre avec mon agent, on doit aller à l'hôtel d'ailleurs, et le dernier avec le serveur qui travaillait là il y a trois ans.

Je ris légèrement quand elle me tira la langue et repensai moi aussi en quelques secondes seulement à l'après midi qui avait été celui de notre rencontre, et qui devait sans doute lier nos destinées à jamais.
Je grimaçai en entendant son discours, réaction qu'elle attendait sûrement. A mon tour je lui tirai la langue, et répondit avec un sourire amusé et séducteur :
- Bon ok Puce. Tu vas appeler tous ces messieurs et leur dire que, vraiment tu es navrée mais que aujoud'hui, tu ne peux pas parce qu'un certain Erik Simmons t'a kidnappée pour une durée indéterminée.
Je lui adressais un grand sourire victorieux, comme un gamin. D'autres souvenirs me revinrent à l'esprit, d'autres bagarres la plupart du temps où Maxime, Thomas et moi défendions férocement la sublime jeune fille qu'était en train de devenir Marjorie. Thomas et Maxime par protection, moi aussi sauf que je me rendais compte maintenant que la jalousie faisait aussi partie de mes motivations.
Je me souvins aussi de la journée où je m'étais mis en colère pour ce gringalet de serveur de merde qui draguait MA copine. Ma Marjorie. Impensable.
- & En particulier ce serveur idiot, s'il ne veut pas avoir de mes nouvelles une fois de plus.
Ajoutai-je.

- Très bien ...

- Pardonne moi, je suis victime du syndrome de Stockolm ...

- Aller kidnappeur, emmenez moi où bon vous semblera.

Je haussai les sourcils, ahuris. N'ayant pas remarqué le regard de la serveuse posé sur moi je n'avais pas tout compris. Néanmoins un grand sourire se dessina sur mes lèvres. Le baiser avait réveillé des souvenirs plus anciens, de moments partagés rien qu'avec Marjorie.
- Pardonnée.
Je lui souris et me levai, enfilant ma veste à mon tour et glissant mes lunettes dans ma poche. Je posai un billet de cinq dollars sur la table pour le café et saisit la main de Marjorie avant de sortir du café. Une fois à l'extérieur, sur le trottoir, je sortis une cigarette que j'allumais, ne pouvant tenir très longtemps sans ma dose de nicotine.
- Bon alors, où veux-tu aller ? Demandai-je avec un sourire. Après tout, le client est roi.
Ajoutai-je en riant. Mes doigts n'arrivaient pas à se résoudre à lâcher les siens, et ils étaient donc toujours aussi étroitement enlacés. Pour moi, n'importe où serait une bonne idée, du moment qu'elle était là. Et puis, j'avais tellement de choses à me faire pardonner qu'elle était bien en droit de faire ce qu'elle voulait de moi.
Je mourais d'envie de l'embrasser de nouveau, mais je ne savais pas très bien comment elle le prendrait. Je me contentais donc de la regarder. Je mis un moment à comprendre pourquoi le simple fait de la contempler me rendait aussi heureux. J'étais amoureux d'elle, plus que jamais ou alors je me rendais compte pour la première fois de l'ampleur des sentiments que je lui vouais.

philip morris

- J'ai quelque chose sur la tronche ?

- Tu te rappelle du banc au sec, le jour de forte pluie ?

Alors qu'il pleuvait des trompes d'eau, Erik & moi nous étions mis à l'abris sous un arbre, le seul banc sec du parc.

- Non rien.
Je lui tirai la langue et lui fit soudain les gros yeux, la voyant allumer sa clope, en la laissant m'entraîner vers le parc. Bien sûr que je me souvenais de ce fameux banc sur lequel nous nous étions abrités lors d'une journée pluvieuse. J'avais l'impression que c'était il y a une éternité.
- Hey, tu fumes toi ?! Ah c'est du beau mademoiselle.
Lui dis-je sur un ton de reproche en lui faisant toujours le gros yeux. Mais bon, dans le même temps je tirais sur ma clope comme un perdu s'accroche à une bouée, ce qui ne devait être guère convaincant.
- Seulement des cigarettes j'espère ?...
Nous marchions côte à côte, le long de l'avenue, tandis que le ciel s'obscurcissait. Peut-être allait-il pleuvoir aujourd'hui encore.

- Que des cigarettes papa.

- Bien fifille.
Le souvenir des soirées où nous finissions invariablement dans le même lit remonta à la surface, et ce ne fût que le contact de la main de Marjorie contre ma fesse droite qui me fit reprendre pied dans la réalité. Je souris, et passais un bras autour de sa taille.
Arrivés en face du banc, je m'installais dessus, écrasai mon mégot, et laissai Marjorie s'installer. Notre comportement l'un envers l'autre était on ne peut plus ambigu. De plus, les souvenirs avaient provoqués en moi une brusque ascension de désir.
Une fois qu'elle fut ainsi installée sur moi, je ne pus m'empêcher de faire ce qui allait suivre. C'est sans équivoque que j'attirais son visage vers le mien, l'embrassant plus tendrement que jamais, et le message ne pouvait qu'être clair, se passant totalement de mots : je t'aime. C'était un acte parfaitement irréfléchi, sans aucune préméditation, mais qui était absolument sincère.

___Royalement bien installée sur Erik, j'observai le parc. Cet gigantesque verdure qui nous entourait. Ce fut comme si rien n'avait changé depuis trois ans. Au vu de notre comportement l'un envers l'autre, Erik et moi passions facilement pour un couple. Un couple, avec Erik, s'était le rêve de ma vie, le rêve de la petite brune qui a grandit avec le prince charmant et ses compagnons. Je souris, à la pensée d'Erik, en prince, et de Thomas & Maxime en compagnon, soit en cavalier banal. Ils ne seraient pas banal vu qu'extraordinaire au naturel.

Je m'apperçu du regard que me lancai mon ami, et compris, un peu tard, que, comme moi, les souvenirs le travaillaient trop, c'est pourquoi je lui souris.

Je venais à peine de tourner le visage qu'il fut en face de celui d'Erik. Nos lèvres s'étaient dangereusement rapprochées. Puis il m'embrassa. Un baiser tendre. Sincère. De ces baisers qu'Erik m'avait donné dans le passé. Une fois nos lèvres séparées, je le regardai. Que pouvais-je faire, moi aussi j'étais amoureuse de lui.

Je posai ma main sur sa joue, lui souriant, et lui dit, d'une voix basse pour ne pas gâcher le moment présent :

- Ca m'avait beaucoup manqué.

- A moi aussi...

- Marjorie écoute...

- On a trop perdu de temps comme ça, non ?

___Perte de temps ... Si, alors que nous avions 16 ans, il ne m'avait pas laissé, nous n'aurions perdu aucune seconde de notre vie. Maintenant, il regrette ... Je n'arrive même pas à lui en vouloir. Je suis désespérement amoureuse de lui. Yeux dans les yeux, j'enroulai mes mains autour de sa nuque, et lui embrassai le front.

- Je te l'accorde. Que proposes-tu ?

- Que tu me laisses une chance ?

- Je peux changer tu sais...

___Je repensais à la dernière fois qu'il m'avait dit ça. Son premier jour à Spaces. Il avait couché à Médalia. Puis à la soirée, alors que nous étions tous bourrés, et défoncés, il était venu vers moi. Que devais-je en conclure ? Changer, tout le monde peut le dire, mais presque personne ne le fait réellement. Et puis, si Erik changeait, qu'aimerais-je chez lui ?

- Non ... Je ne veux pas que tu changes, juste que tu restes fidèle.

Erik avait sa troisième chance, et j'espérais de tout mon être que cette fois, nous formerions un couple.

- C'est ce que je sous-entendais.

- Puce... Je t'aime.

___Ce je t'aime. Une fois dans ma vie je l'avais entendu, aussi sincère, aussi amoureux. Je n'en revenais pas, mais ne laissais rien passer. Je gardais les yeux dans les siens, et lui offris le meilleur des baisers que j'étais capable de donner.

- Erik ... Je t'aime.

Instinctivement, je baissai le regard vers son cou, pour ne pas que mes iris rencontrent les siennes après mon aveu. Je connaissais ses réactions quand on lui avouer ce qu'on avait sur le coeur, et je ne supporterai pas une telle réaction.

___Timide, je répondis à son baiser. Erik, lorsqu'il aimait, il ne savait pas comment s'y prendre, heureusement qu'il acceptait de se laisser guider par ses sentiments qui eux, étant refoulés tellement longtemps, gérer à la perfection.
Un amour inévitable avait dit Thomas un soir, alors que j'avais 13 ans, et Erik 15. Mais nous, on rigolait, 3 ans après, je comprenais ce que voulais dire mon grand frère.

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